Nos rêves d’avenir sont désormais inséparables de nos frayeurs. La littérature utopique, à ses débuts, s’insurgeait contre le Moyen Age, contre la haute estime où il tenait l’enfer et contre le goût qu’il professait pour les visions de fin du monde. On dirait que les systèmes si rassurants d’un Campanella et d’un Morus furent conçus à seule fin de discréditer les hallucinations d’une sainte Hildegarde. Aujourd’hui, réconciliés avec le terrible, nous assistons à une contamination de l’utopie par l’apocalypse : la « nouvelle terre » qu’on nous annonce affecte de plus en lus la figure d’un nouvel enfer. Mais, cet enfer, nous l’attendons, nous nous faisons même un devoir d’en précipiter la venue. Les deux genres, l’utopique et l’apocalyptique, qui nous apparaissaient si dissemblables, s’interpénètrent, déteignent maintenant l’un sur l’autre, pour en former un troisième, merveilleusement apte à refléter la sorte de réalité qui nous menace et à laquelle nous dirons néanmoins oui, un oui correct et sans illusion. Ce sera notre manière d’être irréprochables devant la fatalité.
E.M. Cioran, Histoire et Utopie (1960), Folio 2005
Our dreams about the future can not be unlinked anymore from what scares us. Utopic literature's beginnings fought against Middle Age, against how this period was highly considering Hell and how it was presenting visions of the end of the world. It is likely that those systems so comforting, by Campanella or More have been conceived for the only goal of discrediting Saint Hildegarde’s hallucinations. Nowadays, we are reconciled with the notion of “terrible”, we assist to a contamination of utopia by the apocalypse: the “new land” that has been announced is affecting more and more the figuration of a new Hell. However, we are waiting for this Hell, we even make of a duty to accelerate its arrival. The two types, utopic and apocalyptic which use to appear to us as very different, are actually penetrating each others, influence one on another to create a third one, marvelously able to reflect the kind of reality which is threatening us and to which we will say whatsoever, yes, a correct and without illusion, yes. It shall be our way of being unimpeachable in front of fatality.
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